Je m’appelle Marie-Laure Diaferia et je suis actuellement doctorante en Sciences Cognitives à Grenoble. Au sein de mon laboratoire (ICP : Institut de la Communication Parlée), et sous la direction du Pr Christian Abry, je travaille à mettre en relation les capacités de numération et de narration. Pour ce, je m’intéresse plus spécifiquement aux enfants porteurs du Syndrome de Williams. En effet, le profil caractéristique de ces enfants se situe au cœur de notre travail de réflexion*.
Aussi, en vue d’étayer mes recherches et de pouvoir ancrer nos pistes de réflexion dans la réalité de l’enfant et de ce qu’il vit, il s’avère primordial pour moi de rentrer en contact avec vous. En effet, votre enfant et vous-mêmes êtes ceux qui pourront nous aider à mieux appréhender notre problématique et par là même le syndrome.
Mais en quoi consiste finalement cette sollicitation ?
Mon travail, dans cette première phase, consiste avant tout en un travail d’observation. Il s’agit en fait ici d’observer le comportement de votre enfant en situation.
La situation étudiée se rapporte à l’utilisation de petites comptines qu’on raconte avec et sur les doigts de la main[1]. Plusieurs types d’interaction seront prises en compte : le parent réalise la comptine sur la main de son enfant, sur sa propre main, l’enfant réalise la comptine lui-même sur la main de quelqu’un d’autre et/ou sur les siennes ; ces situations seront adaptables selon vos remarques, selon votre enfant, et selon notre situation…)
Il s’agit surtout et avant tout pour nous, de pouvoir observer comment votre enfant gère, assimile et apprécie ces petites comptines sur les doigts.
Pour permettre une exploitation précise et la plus complète possible de ces situations comportementales ; il me faudra enregistrer les données, et le dispositif consistera tout simplement en une caméra posée dans la pièce dans laquelle nous nous amuserons avec les comptines.
Si vous avez la moindre question, si ces recherches vous intéressent, si vous souhaitez en savoir plus … N’hésitez surtout pas, contactez-moi !
Merci beaucoup pour votre attention,
Marie-Laure Diaferia
Informations compléméntaires :
Quand conter, c’est « compter » : Numération et Narration
Données Comportementales et Neuropsychologiques.
Notre travail de recherche part de l’observation d’un concept de
sémantique linguistique préthéorique – nous dirons de “ psychologie
populaire ” – selon lequel “ conter ” est à rapprocher étymologiquement
de “ compter ”, tous les deux étant issus de computare. Cet état de
fait est attesté dans différentes langues, de familles différentes : le
français compter et conter ; l’allemand zählen et erzählen ; ou encore
l’anglais teller pour “ caissier ” et “ conteur ” ; l’anglais pour
compter : to count ; et conter : to recount ; mais aussi l’hébreu
saphár “ il comptait ”, sipper “ il contait ”. Après tout, compter des
mots ou conter des chiffres, où est la différence ?
Il s’agit donc pour nous d’évaluer à quel point cette piste
préthéorique s’avère compatible avec les processus neuro-cognitifs
connus : les données comportementales et neuropsychologiques
disponibles, où à recueillir et analyser, concordent-elles bien avec
cette hypothèse ? En d’autres termes, l’origine commune des racines
linguistiques pour les activités de contage et comptage se
retrouve-t-elle aussi au niveau neurocognitif ?
A première vue, si l’on prend connaissance du Syndrome de Williams, la
réponse semble être non. Ce Syndrome a été décrit pour la première fois
en 1961 par le Professeur Néo-Zélandais Williams. Il se traduit par un
faciès particulier, souvent appelé “ visage d’elfe ” (petite tête,
front large, nez retroussé, large bouche souvent ouverte), un retard de
croissance, avec un retard intellectuel et psychomoteur plus ou moins
important et, dans 80 % des cas, des troubles cardiaques (sténose
aortique supravalvulaire) plus ou moins graves. Sa fréquence est
d’environ 1/20 000 naissances. Un dépistage prénatal est aujourd’hui
possible car nous connaissons maintenant la cause génétique de ce
syndrome de Williams. Il s’agit d’une microdélétion du bras long du
chromosome 7, situé en q11.23 (gène de l’élastine et, entre autres les
gènes LIMK1 FZD3, WSCR1, RFC2…).
Ce qui nous intéresse repose sur les capacités narratives et numériques
régulièrement observées chez les personnes atteintes de ce syndrome. En
effet, les personnes atteintes du syndrome de Williams semblent
présenter une apparente dissociation de leurs capacités cognitives qui
peut prendre valeur de contre-argument, s’opposant à notre hypothèse.
Il faut savoir que leur QI se situe généralement en dessous de la
moyenne (50 par rapport à 100), s’avérant proche de celui des
trisomiques 21, atteints du syndrome de Down. Pourtant, bien qu’ils
montrent des résultats très faibles aux tâches arithmétiques (tout
comme un trisomique 21), ils sont de très bons narrateurs et conteurs
(et ce, contrairement aux trisomiques 21). En résumé, ils peuvent être
d’exceptionnels conteurs, mais s’avèrent en revanche de bien piètres
compteurs à l’école. Notre hypothèse de l’existence de racines et d’un
fonctionnement communs entre narration et numération paraîtrait ainsi
clairement mise en défaut. Toutefois, en se penchant plus précisément
sur les performances des Williams au cours de leur développement –
rappelons que ce syndrome est un trouble d’ordre essentiellement
développemental – on peut comprendre ces résultats. Et ce, dans le
cadre d’une décomposition de l’activité de comptage, telle que nous la
proposons.
Ainsi, en vue d’explorer cette hypothèse préthéorique concernant
l’existence d’une base neurocognitive commune pour les facultés
narrative et numérique, nous proposons une décomposition de l’activité
de comptage. Ces différentes étapes suivraient le développement
ontogénétique, (développement de l’enfant à l’adulte), et la
phylogénèse (développement de nos ancêtres à l’homme moderne).
Ainsi, nous fractionnons le processus de numération en quatre étapes
qui, fait crucial pour l’enracinement du sens, impliquent toutes une
deixis (une action de monstration comme pointer du doigt) sur les
parties du corps.
L’enfant commence avec le système de numérosité I ou subitizing by eye,
un système attentionnel qui lui permet de suivre, par indexation
d’objet et/ou d’agent, deux ou trois objets simultanément en analyse de
scène, avec causalité et agentivité. Le subitizing correspond en fait
plus simplement au fait de dénombrer sans avoir à compter mentalement,
une sorte de dénombrement direct (pour des ensembles de 1 à 3-4
objets). Précisons que le subitizing est une capacité non seulement
anthropologique, mais aussi de nos plus proches voisins primates.
Les enfants atteints du syndrome de Down n’ont pas cette première
numérosité, qui semble être la condition pour développer la seconde :
ce ne sont ni des compteurs, ni des conteurs. Pour les Williams, nous
savons maintenant (depuis Paterson et al., 1999) qu’ils ont, dès tout
petits, la numérosité de type I, le suivi de deux ou trois objets,
comme les autres bébés. C’est donc gagné, du moins en ce qui concerne
les racines communes de conter et compter.
Dans un deuxième temps, l’enfant va être exposé, par interaction
culturelle, à un enchaînement chronologico-causal narratif. C’est celui
de l’une des premières narrations qui lui sont prodiguées : celles sur
les parties du corps, typiquement les contines sur les doigts de la
main, type “ Une petite souris passait par-là ”[2] Cet enchaînement
chronologico-causal contenant une introduction, un ordre pour les
agents, et une chute, correspond pour nous à la numérosité II et nous
lui avons réservé le terme de fingertelling. Elle utilise un ordre
conventionnel qui requiert a minima : une compréhension de la deixis (“
Ce…) et de l’agentivité (qui fait ?), une reconnaissance des doigts en
tant que partie du corps grâce au système neurocognitif dit “ miroir ”,
un ordre (alignement temporel et causal), une chute avec un sens de
l’humour. Ainsi, les enfants atteints du syndrome de Williams ont la “
main narrative ”.
Cette numérosité II, et plus précisément son ordre conventionnel
servira de cadre à celui de l’énumération active des noms de nombres
lorsque la main sera entraînée à compter “ par cœur ”. Cette dernière
compétence correspond à notre numérosité III. Si l’on se place dans le
cadre de la narration, il s’agit d’une énumération complète (d’objets,
de moutons, ou encore d’évènements, épisodes…) que nous avons nommée
telling over.
Plus tardivement, apparaît la numérosité IV. Il s’agit de maîtriser
l’opération de comptage qui nécessite la connaissance d’une base, en
regroupant par exemple les cinq doigts de la main. Soutenant notre
hypothèse, tout autant que le syndrome de Williams, les Oksapmin de
Nouvelle-Guinée ne comptent que jusqu’à 27 sur les parties du corps
(body parts) – allant du pouce de la main droite à l’auriculaire de la
main gauche, en passant par les bras et les yeux – et ils n’ont pas de
base. Ils n’ont eux aussi aucun problème pour devenir de bons conteurs
(cf. la parution récente de “ 1001 nuits ” de Papouasie-Nlle-Guinée).
Cette étape de numérosité IV est tardive dans le développement de
l’enfant et pas du tout universelle. Les Oksapmins l’ont d’ailleurs
apprise seulement récemment avec le développement du commerce via la
monétarisation. Il s’agit en fait plus simplement des activités
arithmétiques et calculatoires, dirons-nous.
Notre programme de recherche, pour être universel, s’arrêtera par
conséquent à la narration (Numérosité III), juste avant l’opération
arithmétique qui nécessiterait le recours au concept de base. Notre
travail consiste à établir la distribution de ces trois premiers types
de numérosité dans le développement et la neuropsychologie de l’enfant,
avec un éclairage spécifique sur les deixis mises en oeuvre sur et par
les parties du corps.
Il nous incombe en réalité d’évaluer les quatre étapes
développementales : subitizing, fingertelling, fingercounting et
(com)puting, cette dernière pour son absence chez les Williams. Pour
ce, nous testerons en premier lieu chaque étape développementale auprès
de populations spécifiques choisies relativement à notre hypothèse. Par
exemple, d’après la littérature sur les Williams et selon nos
prédictions quant aux quatre stades développementaux, une personne
présentant ce syndrome prendrait sûrement une trajectoire
développementale différente, pour ce qui est de ses capacités
numériques, à partir de la troisième étape (celle du fingercounting) ?.
Outre les individus atteints du syndrome de Williams, nous avons choisi
de nous pencher tout autant et nécessairement sur un autre syndrome. Le
Syndrome de Gerstmann se traduit par une tétrade de symptômes. Ses
origines sont neurologiques et sont associées à des lésions/dommages du
lobe pariétal gauche (ou dominant) au niveau du gyrus angulaire. La
personne atteinte présente une agnosie digitale, c’est-à-dire qu’elle
est incapable d’identifier (nommer, sélectionner, différencier) ses
doigts ou ceux d’autres personnes. Elle est agraphique: c’est-à-dire
qu’elle montre des troubles voire une inaptitude à l’écriture. On
observe aussi une désorientation gauche/droite chez ces patients. Et
pour finir, ils sont atteints d’acalculie, ce qui correspond à des
troubles voire une inaptitude aux calculs et aux règles de
l’arithmétique. Il s’agira, là encore, de mettre au banc expérimental,
leurs performance numériques vs. narratives.
Pour ce qui des retombées de ce travail de doctorat, elles semblent
très intéressantes voire essentielles. Les conséquences théoriques et
pratiques sont diverses et multiples. La plus évidente repose sur les
connaissances scientifiques : nous serons en mesure de fournir une
meilleure appréhension des bases neurologiques de la narration et de la
numération, de leur fonctionnement cognitif et surtout de leur
trajectoire développementale. Sur un plan plus pratique, et surtout
pour ce qui est des syndromes (surtout le syndrome de Williams), les
enjeux semblent fondamentaux. En effet, le cadre théorique que nous
aurons dressé pourra constituer un outil d’évaluation supplémentaire
pour les professionnels. De plus, selon nos résultats et en connaissant
plus largement les étapes développementales associées à ce syndrome,
des stratégies d’apprentissage alternatives et adaptées pourront être
mises en place. En effet, les facultés humaines d’adaptation à
l’apprentissage et de plasticité neuronale ont déjà largement été
démontrées. Enfin et plus généralement, nous nous inscrivons dans un
des enjeux scientifiques majeurs actuels : découvrir les liens entre
gènes, cerveau, cognition et comportement : “ du génotype au phénotype
à la cognition ”.
Exemples de comptines à réaliser avec les doigts<:p>
Tirée de : Collectif (1980). Formulettes – Comptines pour les enfants à
partir de 2 ans. Les cahiers documentaires du CRDP de Limoges, n°4,
Novembre.
Une petite souris passait par là et sa queue traînait par ci…
Celui-là l’attrape => (saisir le pouce)
Celui-là la plume =>(l’index)
Celui-là la fait cuire =>(le majeur)
Celui-là mange tout =>(l’annulaire)
Le petit n’a rien du tout ! =>(l’auriculaire)
Lèche le plat, petit, lèche le plat (L’auriculaire chatouille la paume de l’autre main)
Tirée de : Jeux de doigts pour parler, rire et se faire de gros câlins…
Revue Papoum, n°31, Novembre-Décembre 2001. Fleurus Presse, Paris.